mercredi 10 février 2021


Le Temps selon le Tch'an

 

Xi Tch'an - Hexagramme 32

 

Les problèmes humains sont liés au Temps:


Comme nous l'avons vu précédemment (Cf l'article "La mort selon le tch'an" ), les problèmes sont liés au temps ! 
Nous en revenons donc au problème de la mort. Faisons une supposition (et peu importe, pour notre propos, quʼil sʼagisse de quelque chose de possible ou dʼimpossible). Supposons donc, que demain la biologie découvre un moyen de rendre lʼêtre humain immortel. Supposons résolu le problème démographique (par limitation des naissances, par exemple et par envoi sur dʼautres planètes rendues habitables, dʼune partie de la population), et voyons ce quʼil en serait dʼun être humain physiquement immortel. 
Entendons par ce terme, réellement immortel ! Plus de vieillissement invalidant, plus de mort par sénescence ni par maladie, ni par accident, ni par inanition: lʼêtre humain le plus quelconque appelé à durer aussi longtemps que lʼunivers. Et posez-vous cette question “si cela se produisait, quels seraient ceux des problèmes humains énumérés plus haut (et de tout autre problème se posant à lʼheure actuelle) qui subsisteraient encore quelque temps après cette découverte” ? 
 
Ne nous croyez pas sur parole. Réfléchissez et vous verrez que la réponse est (à lʼexception de ne pas avoir tout tout de suite) : aucun ! 
 
Car avec lʼéternité devant soi, tous, un jour ou lʼautre, trouveraient leur solution. Le misérable deviendrait riche et qui risquerait de perdre sa fortune serait certain de la retrouver un jour. Avez vous remarqué à quel point un amoureux déçu («toujours», «à jamais»...), semble “lutter contre la montre” ? Tout chagrin dʼamour serait gommé par le temps, toute douleur oubliée. Tous, un jour ou lʼautre, seraient aimés, trouvés beaux et forts. Tous finiraient par avoir satisfaction (quant à la solution de leurs problèmes actuels). 
 
Dʼautres problèmes se poseraient aux immortels ? Bien entendu, mais impensables aux mortels. Si différents, même, que le mot “problème” lié à la notion dʼécoulement du temps, ne conviendrait plus.Lʼennui lui-même, qui viendrait inéluctablement et qui serait, dans le contexte dʼune humanité immortelle, le seul problème insoluble par définition, ne présenterait aucune ressemblance avec lʼennui ressenti par des créatures limitées dans le temps. Lorsquʼun de nos contemporains sʼennuie cʼest, essentiellement, parce quʼil ne fait rien dʼintéressant, alors que le temps “passe” ! 
 

Ce que nous pensons savoir de lʼunivers:


Cela varie avec les lieux et les époques (les lieux/époques, diraient les relativistes). Toutefois, il semble raisonnable dʼadmettre, pour les besoins de lʼexposé, quʼune civilisation avancée, comme la civilisation occidentale actuelle, est en mesure de percevoir, sinon dʼinterpréter, des données qui ne peuvent être perçues, quʼà lʼaide dʼinstruments créés par la technique, mieux que ne peuvent le faire des cultures moins pointues sur ce plan. 
 
Tout en utilisant un langage ordinaire, non spécialisé, nous tiendrons donc des arguments de la pensée moderne (appelée science) du XXI ème siècle.Ce que nous en dirons ne doit pas nous faire “enfler” lʼego. Souvenons-nous que le Bouddha lui-même, use, assez curieusement, dʼun langage proche de celui de nos “grands scientifiques”, à lʼemploi des mathématiques près. 
Il va sans dire que si nous nous adressions à des humains de culture protohistorique, nous ferions hardiment intervenir dieux et démons : toute vérité ne peut en effet être perçue quʼen fonction du contexte culturel. 
 
Et si vous avez une éducation scientifique, en lisant ce qui suit, nous vous demanderons de bien vouloir excuser une simplification qui peut sembler outrancière sinon abusive, et de constater que si nous trahissons la lettre, nous ne trahissons pas lʼesprit. 
 
Bien que, tout naturellement, lʼacquis scientifique dʼune époque doive évoluer, il est un point qui paraît définitif : en ce qui concerne la matière, nous sommes sûrs, au-delà de tout doute raisonnable, que son indivisibilité (au niveau de lʼatome (atomos = ce qui ne peut être divisé) est un leurre de nos sens. Ce que nous croyons “matériel” solide, permanent est, de fait, fluide,instable, en changement perpétuel; sa seule caractéristique permanente étant, précisément, son instabilité. 
 
Ce que nous appelons matière (disons, par exemple, un corps humain) nʼest certes pas quelque chose de simple. Ce nʼest pas, il sʼen faut de beaucoup, un tout insécable. Ce corps (humain dans notre exemple, mais un pavé, un arbre ou nʼimporte quel autre objet ferait aussi bien lʼaffaire) est constitué dʼune infinité de corpuscules infimes. Cela, tout le monde le sait. Mais ces corpuscules qui, groupés en nombres colossaux constituent une cellule , nʼont pas une durée de vie chiffrable. Pratiquement, ils naissent et meurent à le même seconde. Ils sont lʼinstantané, lʼimage même de lʼimpermanence .Aucun de ces corpuscules, à notre échelle, nʼest vraiment : chacun dʼeux est “probable”. 
 
En fait, ce qui est, ce qui fait la matière, ce nʼest pas lʼassemblage durant un laps de temps même infime dʼune masse de ces corpuscules, cʼest le fait même de leur apparition suivie de disparition instantanée et le remplacement de chacun de ces corpuscules relativement à lʼensemble de tous les autres corpuscules
 
Bref, les formes matérielles que nous percevons (celles dʼun corps humain par exemple) peuvent être définies dʼun mot : mouvement.Mais la matière (ce que nous appelons matière), ce nʼest pas seulement cela. Ce nʼest pas seulement lʼaspect corpusculaire du vivant. Car, si nous entendons par vivant tout ce qui est animé, tout vit autour de vous y compris la pierre la plus brute et la plus inerte à nos yeux. Il faut, pour quʼil y ait matière et vie (au sens large du terme) que, dans lʼespace/temps, outre le producteur de formes sensibles quʼest lʼincessant mouvement dʼimpermanence corpusculaire, se manifeste autre chose, que le vieux dualisme pourrait appeler, par opposition au phénomène corpusculaire (limité, par définition, dans lʼespace/temps) un “noumène”, quelque chose qui existe en soi, non limité et non limitable dans lʼespace/temps : lʼaspect ondulatoire dont lʼaction sʼétend, rigoureusement parlant, à lʼunivers entier. (Et, ne lʼoublions pas, lʼunivers nʼest pas seulement spatial, il est aussi temporel). 
 
Il est dans tout et relie chacun des éléments (pour nous) passés,présents et futurs du cosmos.Ce qui signifie que le plus infime et le plus brièvement manifesté des corpuscules sʼétend, par contact ondulatoire, à lʼunivers entier, aussi bien dans le temps que dans lʼespace.Et, inversement et de façon complémentaire, la galaxie la plus lointaine dans le temps comme dans lʼespace, se retrouve dans cet infime corpuscule. 
 

Lʼhomme ordinaire se sent limité par le temps:

 
Cʼest cela le problème qui englobe tous les problèmes. Se sachant mortel,lʼhomme se sent limité par le temps. Il souhaite plus ou moins obscurément,sʼaffranchir de cette limite au-delà de laquelle ses problèmes de mortel sʼévanouiraient.Or, en soi, le temps nʼexiste pas. 
Les tenants de la relativité générale ont montré que le temps nʼexiste que relativement à lʼespace et lʼon ne devrait parler que dʼespace/temps. Tout déplacement dans lʼespace est fatalement accompagné dʼun déplacement dans le temps et vice-versa. Si je vais quelque part, il me faut du temps pour effectuer le parcours. Et si je reste immobile, “regardant le temps sʼécouler”, je voyage cependant avec la planète, avec lʼunivers. En fait, même lorsque je demeure immobile, ce que lʼon nomme “mon corps et mon esprit” sont encore lʼobjet dʼun mouvement incessant par rapport au reste de lʼunivers.

Le mystère du temps:

Récemment, deux nouvelles théories scientifiques sont venues enrichir le propos:
  • Dʼune part la théorie des cordes, démontre mathématiquement (sans que cela puisse être encore “expérimenté”), que notre univers possède plusieurs autres dimensions dans lʼespace.  
  • Dʼautre part la théorie du dédoublement du temps (qui exige un changement dʼéchelle : lʼhorizon dʼune particule devient particule dʼun horizon plus grand), démontrée elle aussi mathématiquement, nous fait entrevoir que nous ne serions que des créatures dédoublées : un autre nous-mêmes coexisterait dans notre même espace mais en un temps différent (donc une vitesse différente). 
 
Selon lʼenseignement du Xi Tchʼan, la continuité du temps est une illusion, car seule la conscience se déplace. Dans cette théorie du dédoublement, on affirme quʼà lʼimage de la lumière passant par un stroboscope, les temps perceptibles sont entrecoupés de temps imperceptibles, véritables ouvertures sur les autres temps allant à une autre vitesse (cʼest pour cela que nous ne les percevons pas) et qui sont : - le passé, temps ralenti,- et le futur, temps accéléré que notre présent doit actualiser.  
 
Dans lʼesprit de cette théorie scientifique, «notre dédoublement est aussi celui du temps et de lʼespace. Notre “double” nʼest pas le corps astral ou éthérique dont parlent certains. Cʼest vraiment un autre nous-mêmes. Le corps observable explore lʻespace dans notre temps, lʼautre, totalement imperceptible, voyage dans les différents temps de notre dédoublement (...). Comme les ouvertures temporelles vous font naviguer sur plusieurs fleuves du temps à tout moment, votre corps est un caillou dans un monde et une onde dans un autre». Selon cette théorie du dédoublement nous vivons dʼune part dans un cycle de division des temps, et dʼautre part sur plusieurs plans en même temps sans en être vraiment conscient.  
 
Pourtant, au fond de nous, nous savons bien que nous en ressentons “quelque chose”. Mais nʼayant à ce jour aucune explication satisfaisante, pour calmer son esprit, lʼêtre humain ordinaire a “inventé”, “créé”, des cosmogonies, puis des religions.
 

Tout cela nous amène des questions:


Ce présent qui actualise en croyant les choisir, des futurs déjà existants dont certains sont libérateurs peut-il être assimilé au Karma ?
 
Ce double serait-il lʼâtman de la tradition brahmanique ? (Souvenons-nous, l'âtman est propre au microcosme en tant que "soi conscient". Il constitue donc le véritable "moi" de l'homme, son "souffle", porteur de la conscience et quintessence des forces vitales intimes. 
Mais lʼAtman (est-il affirmé par les prosélytes), est rejeté unanimement par le bouddhisme institutionnel. Et alors ? Devons-nous rejeter la connaissance que nous apporte les lois des cordes et du dédoublement ? Ou bien comme dit le Bouddha “si la doctrine te gêne, bouscule la doctrine” ?... 
 
Autres questions qui nous intéressent particulièrement :
  • Lʼéveil serait-il de prendre conscience de tout cela de manière non perceptive mais intuitive ? 
  • La libération serait-elle dans la fusion des temps (perceptible et imperceptibles) et des différentes “réalités” (spatiales), le retour au “Un” ?
Souvenons-nous encore de ces paroles du Bouddha : “Tout est vrai et tout est faux à la fois. Tel est le vrai caractère de la loi”, et encore : “Soyez à vous-même votre propre flambeau, ne mettez aucune autorité au-dessus de vous”. 


De l'illusion de l'égo à la certitude d'être :

 
Au niveau humain, cela signifie que, lorsque nous disons : “je, moi, vous” , nous nous exprimons par simple commodité. Mais si, ce faisant, nous pensons exprimer une réalité, nous nous trompons entièrement.Composés de corpuscules impermanents, nous ne sommes pas lʼindividu que nous croyons être : en ces corpuscules, rien de tangible, de solide, de permanent, simplement une apparence, une forme générale qui nʼapparaît telle, quʼen raison de lʼinsuffisance de nos sens. 
 
Mais, en même “temps”, étant comme toute chose, un vase que remplit lʼaspect ondulatoire universel, nous sommes un “être” bien plus important quʼun individu. Nous sommes ! Et nous sommes à la fois:
  • chacun de nous
  • tout ce qui fugacement est
  • lʼunivers dans les trois temps coexistants. 
 
Régalons-nous de cet extrait de texte de Jérôme Calmar, dans son ouvragelʼéveil selon le Tchan”. Lʼhomme est non seulement lié à ses semblables mais il lʼest tout autant du monde actuel, passé et futur. Lʼéveillé comprend soudain pleinement que rien de ce qui lʼentoure ne lui est étranger. Il nʼy a plus de sujet et dʼobjet mais une observation sʼobservant elle-même.Voyez lʼeau qui borde la plage. A quel endroit précis peut-on dire : ici il y a de lʼeau et là de la terre ? Lʼeau ne se retrouve-t-elle pas dans le sable et le sable lui-même dans la mer ?Lʼarbre enfonce ses racines dans lʼhumus du sol. Où, exactement, commence et finit la racine de lʼarbre ?De même, tout homme est le produit des gènes de ses ascendants mais il nʼest pas uniquement cela. Il est aussi le produit de ce quʼil intègre soit comme nourriture, soit comme nourriture de lʼesprit. Quand un homme a un ami, il est, on le comprend aisément, influencé par cet ami. Il est “lʼhomme + son ami”. Mais un ennemi influencera tout autant. Tout ce qui nous entoure participe de nous-mêmes et réciproquement. Nous sommes UN avec la planète toute entière, UN avec lʼunivers”.
 
C'est la raison pour laquelle, le Xi Tch'an enseigne que:
 
Le temps est Un et ETERNEL. Passé, présent et futur COEXISTENT, c'est la Conscience seule qui se déplace.
 
A noter que, hors lʼExtrême-Orient, les écrits rabbiniques précisent : lʼhomme, cʼest lʼunivers conscient. De fait, du moins sur notre planète, seule la créature humaine peut parvenir à la conscience de cet état de chose. Il sʼagit bien entendu de lʼhomme primordial, lʼAdam de la Bible, avant la chute. Nous dirions, nous, le tchen jen, lʼhumain éveillé et libéré. Mais toutes les traditions parlent du même homme avec des mots différents. 
 
Paix, force et harmonie.