mercredi 20 octobre 2021

LE TAO DU HAO JEN

Xi Tch'an- Hexagramme 50



Notre enseignement est dit mixte car il englobe la voie directe et la voie intuitive. 
Cette dernière développe des exercices particuliers, aux résultats qui risquent dʼêtre flatteurs pour lʼégo et de ce fait, devenir une gêne pour lʼéveil.
Cʼest pourquoi nous les accompagnons dʼun rappel de ce que la tradition recommande aux adeptes de la voie du Hao Jen.

Une proposition du Xi Tchʼan:


Lorsque se pose la question du “soi”, du “qui” , du “permanent dans lʼimpermanence”, la Voie du Hao Jen propose huit «principes», huit « sentiers » de la sérénité, sur lesquels nous vous invitons à vous promener sans hâte.

Il est fort possible que vous en reconnaissiez au passage plusieurs : vous les 
fréquentiez dʼinstinct depuis bien des années, bien avant dʼavoir lu ces pages.

Rendez-vous en grâces, et portez toute votre attention sur ceux que vous ne
connaissez pas encore.

Ces huit sentiers sont-ils le Tchʼan ? Allez savoir ! Dʼailleurs pourquoi ne le seraient-
ils pas ? Parce que nos aînés nʼont pas proposé ces promenades dans leur
quatrième leçon de Tchʼan ? De toute manière, cʼest la promenade qui compte en cet instant : chaque pas nʼest-il pas libérateur à lui seul ?

Le Hao Jen nʼest prisonnier dʼaucun système, mais il ne sʼinterdit pas de les visiter.
Il ne confond jamais «la lettre et lʼesprit».
Cʼest ce qui sans doute dérange ceux qui nʼont pas compris (selon la phrase dʼun
grand initié dʼune autre tradition) que “le sabbah est fait pour lʼhomme et non pas
lʼhomme pour le sabbah”.

Pour ceux qui ne sont pas de civilisation judéo-chrétienne, voici lʼexplication : Jésus
était accusé par les docteurs de la Loi, de ne pas respecter le jour du sabbah.
Par sa réponse il a voulu montrer que les conseils de vie (comme de respecter le
sabbah) ne sont pas destinés à contraindre les hommes, mais plutôt à les aider.
Le sabbah est fait pour que l'homme se repose. Mais l'homme n'est pas fait pour
respecter bêtement le sabbah.

Trop de personne s'accrochent à la gestuelle, aux mots, à la lettre, et oublient l'esprit qui est beaucoup plus important. Il en est de même de la loi. La loi est faites pour harmoniser une communauté, pas pour la contraindre.


1 – Premier sentier : la Juste Compréhension.

Examinons et explorons ce premier sentier qui commence par 4 constatations :

1°) La vie nʼest pas toujours drôle.
2°) Quand elle est triste, cʼest parce que vous regrettez quelque chose. Parce que
3°) vous avez envie ou peur dʼautre chose.
4°) Il est possible de chasser les regrets, les désirs et la peur.

Pour accomplir cela, la Juste Compréhension préconise dix actes de mérite.

Pour les actions :
1°)  ne pas tuer
2°)  ne pas voler
3°)  ne pas prendre la liberté des autres,

Pour les paroles :
4°) ne pas mentir
5°) ne pas dénoncer
6°) ne pas injurier
7°) ne pas dire de niaiseries.

Pour les pensées :
8°) ne pas envier
9°) ne pas souhaiter de mal
10°) ne pas se régaler de futurs potentiels utopiques.


La Juste Compréhension bannit donc spécialement la convoitise, la colère mais aussi les problèmes oiseux. Dans notre société, ces derniers sont ceux qui se discutent à perte de salive avec des mots en « ...isme ».

Voici lʼexplication donnée :
La Juste Compréhension lâche la roue du samsâra (la succession des incarnations), du passé-présent-avenir, et développe trois degrés de détachement (trois étapes de guérison) :


vivre un samâdhi (cʼest le mot sanskrit qui signifie «éveil»). Ici il faut comprendre «vivre un instant dʼéveil», même fugace. Et cela, peut-être l'avez-vous expérimenté. Mais comme vous ne le saviez pas, vous en avez conclu à un «étrange phénomène» à une «sensation bizarre» ....)

vivre plus dʼun samâdhi.

être tout le temps en samâdhi (lʼétat dʼêtre Éveillé).

La juste Compréhension exige la prudence.

Pourquoi par exemple la mise en samâdhi permanent (lʼéveil), exigerait-il un sacrifice total comme la soumission complète à un gourou, un monastère, ou un groupe ?
Selon le Xi Tchʼan, si la Juste Compréhension vous permet dʼobtenir à votre gré tous les samâdhis que vous pouvez souhaiter, tant mieux. Mais vivez cela avec discrétion. Retournez ensuite vers la Cité. Ne vous différenciez pas de vos contemporains, sauf par votre inaliénable sérénité souriante, et par lʼefficacité de votre altruisme.

Nous le lisons dans les courriers que nous recevons : en Occident, il est fréquent que lʼon sʼimagine que pour parvenir à lʼéveil il est indispensable de suivre lʼenseignement dʼun «maître» connu et estampillé par le système. «Google» pouvant servir de preuve.

Mais nous vous lʼaffirmons : avec la pratique du Xi Tchʼan, vous nʼavez absolument pas besoin dʼautre Maître que vous-même pour obtenir une « juste compréhension ».
Voyons maintenant comment cette «juste compréhension» peut sʼexprimer ?

Par deux notions particulières :
- Le refus formel dʼenregistrer les questions mal posées
- Le refus de la notion dʼun MOI fixe, dont au contraire vous sortez délibérément pour vous identifier à autre chose, ou à lʼunivers dont vous faites partie.

1. Les questions mal posées sont celles qui incluent un faux dilemme.
Vous les retrouvez dans tous les domaines. 
Dans lʼexercice de vos « droits » civiques, où lʼon vous fait choisir entre un niais ou un fripon. Dans le choix de votre travail (volontaire ou requis), de vos biens (cotisant ou taxé).

Et que propose le sentier de la Juste Compréhension par rapport aux faux

dilemmes ? Cʼest très simple : à chaque fois, laissez glisser. Suivez le conseil de Zoroastre, Hao Jen avant la lettre : ABSTENEZ-VOUS de répondre. Lʼabstention, lorsquʼelle dépasse un certain pourcentage, désarme les poseurs de questions oiseuses.

Entre temps, pour VOUS, cette attitude est la source dʼune sérénité ironique tout à fait agréable.

2. Comme, par ailleurs, vous avez de vous-même une perception étendue dans le temps et constamment changeante, même si lʼun des «moi» de votre «série» a été escroqué ou brimé, cela nʼempêche plus tous les suivants, présents et à venir, de se relaxer et de sʼévader par « en dedans ».

Le sage chinois conseille : « Dix gouttes de pluie ne font pas un orage. Sʼil y en a plus de dix, rentrez chez vous. »

2 – Second sentier : la Juste Pensée.

Votre pensée est un bel instrument, à trois restrictions près :
pas de convoitise,
pas de mauvais desseins envers autrui,
pas de conception cruelles ou violentes.

Ces trois restrictions figurent aussi dans la plupart des religions. Pour le Hao Jen, elles sont uniquement destinées à vous protéger des excès dʼadrénaline, que vos capsules surrénales expédient dans votre organisme lorsque votre climat mental est agressif.

Elevé dans un progrès qui a le culte commercial de la violence, nourri dʼune Histoire qui contient surtout des guerres et des révolutions, il vous est parfois difficile de vous conformer à ces restrictions. Sur une information tendancieuse, un détail monté en épingle, votre sang « bout », ou « ne fait quʼun tour », ne vous arrive-t-il pas de partir au galop grossir la meute hurlante de vos contemporains pour déchirer quelque bouc émissaire ?

Vous pouvez toujours, dès le matin protéger votre journée à venir de cette maladie.
Voici le conseil dʼun ancien : ouvrez un journal, trouvez les noms de trois
personnages en vue qui sont notoirement menteurs, malhonnêtes ou nuisibles et écrivez-leur. Pas grand-chose, dix lignes pour chacun, dans la ligne de la bienveillance de la règle royale du Hao Jen. Ensuite, relisez attentivement vos lettres, et déchirez-les. Cʼest très efficace : si au cours du jour on vous parle dʼun quatrième, vous penserez : « Je ne peux pas mʼoccuper de tout le monde », et vous hausserez les épaules sans rien perdre de votre calme.

Et dès que vous aurez suffisamment pratiqué les exercices du Tchʼan, lorsque vous aurez effectué cinq ou six fois ce « report » de sensibilité sur papier, vous nʼen aurez plus jamais besoin. 
Penser juste, ce nʼest pas penser selon les impératifs dʼune doctrine, dʼun clan ou dʼune région. Cʼest penser selon votre conception profonde de lʼutilité et de lʼélégance.


Un adepte nous écrivait :

“Le Hao Jen est celui qui adhère par politesse à une association de bienfaisance, mais qui en démissionne cinq minutes après sʼil constate que les petits fours du buffet ont été payés avec lʼargent des quêtes.
Le Hao Jen est celui qui suit avec intérêt une partie dʼéchecs, mais qui refuse obstinément de voir tourner une roulette de casino.
Le Hao Jen est celui qui regarde avec plaisir à lʼoccasion une femme nue, mais qui nʼa aucune émotion dʼaucune sorte devant son porte-jarretelles”.

Nous lui avons répondu, “et pourquoi pas ?” ce qui le choqua profondément...
Une des propositions classiques de la Pensée chinoise est la suivante : « Le doigt sert à montrer la lune dans le ciel de lʼaurore, mais il ne faut jamais confondre le doigt avec la lune. »

Le Hao Jen, tout simplement, ne fait aucune confusion entre le symbole et lʼobjet, entre lʼattribut et le nom. Il pense, quʼAchille et son « pied léger » sont deux concepts distincts. Cela lui permet, dans la vie courante, de ne pas prendre des vessies pour des lanternes, des conseilleurs pour des payeurs, et lui-même pour le jouet de quelque fatalité mystérieuse.

Cela lui permet aussi, dans sa recherche dʼêtre, de ne pas se cogner contre des “vrittis” (parasites mentaux) de rancune, de déception ou même de simples égratignures dʼamour-propre.

Sa juste pensée se reconnaît à ce quʼelle ne lui laisse jamais de remords.


3- troisième sentier : la Juste Parole.

Elle est encadrée par quatre des « actes de mérites » déjà cités à propos de la juste compréhension :
ne pas mentir,
ne pas dénoncer,
ne pas injurier,
ne pas dire de niaiseries.
Ce sont des limites.
Entre ces limites, la parole est un fait, le premier de tous : la parole est message.

Le message suppose deux éléments préalables, lʼinformateur de lʼauditeur. Lorsquʼil se produit, il y a changement de lʼétat de lʼensemble. Cʼest le quantum, la particule élémentaire de toute connaissance et de toute existence possédant la dimension du temps.

Pour le Talmud, la parole est Menra Adonaï (sagesse).
Pour lʼapôtre Jean, « au commencement était la parole, et la parole était avec Dieu et la parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait nʼa été fait sans elle. En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne lʼont pas saisie. »

La plus importante des sciences actuelles, la cybernétique, suit exactement cette
conception lorsquʼelle analyse lʼinformation et le signal. Il suffit, pour les matérialistes, dʼy remplacer « Dieu » par « présence », « lumière des hommes » par « intelligence » et ténèbres par « bruit de fond ».

La parole précède le signe écrit. Elle est plus riche en informations que ce dernier,
dont la traduction est trop souvent une trahison. Pour lʼhomme, la parole est faite de sons. Elle se souligne par le geste, le rythme et lʼintonation.

Vous devez donc avant tout, comme lʼont fait les grands acteurs du passé, choisir le registre de votre voix. Cette voix, qui est la vôtre, vous ne la percevez pas. Vous nʼen avez quʼun écho déformé, transmis par une suite de cavités organiques jusquʼà vos limaçons.

Aujourdʼhui, vous avez lʼavantage de la technique sur les adeptes du passé. : vous 
pouvez facilement connaître votre voix en lʼenregistrant avec un magnétophone, sur les différents registres où vous pouvez la placer sans effort. En vous « ré-
entendant », vous percevrez tout de suite celui qui reflète le mieux votre personnalité du moment.

Il serait amusant de compléter lʼexpérience, dʼacheter un petit diapason donnant la 
note moyenne de votre registre vocal et de vous y accorder, lorsque vous voudriez 
parler. Dans tous les parcours chromatiques, vous seriez comme un voyageur qui a choisi sa meilleure allure, et vos paroles iraient plus loin.

En effet, et pas besoin du diapason. Si vous savez vous abstraire des bruits de fond que multiplie le progrès, votre voix bien utilisée peut prendre une puissance 
extraordinaire sur vos auditeurs. La modulation des fréquences et du rythme, les 
ultrasons que vous émettez empiriquement sont capables dʼinfluencer leur 
physiologie propre, et, plus loin, leurs climats mentaux, encore plus vite que les mots que vous pouvez employer.

Cette action, cʼest en particulier le « charme » du chanteur, qui persiste malgré la
niaiserie du texte quʼil articule, et qui atteint une efficacité prodigieuse lorsque les
mots sʼeffacent. Cʼest la puissance du flamenco espagnol, du chœur religieux, des 
chants des travailleurs qui ne sont plus que pure mélodie.

Entraînez-vous aussi à parler aux animaux. La voix humaine, par ses simples
intonations, a sur la plupart dʼentre eux un effet considérable. Si vous apprivoisez un chat ou un chien inconnus en leur parlant, votre timbre et votre registre sont bons. Sinon, exercez-vous à changer de ton : il viendra un moment où ils sʼapprocheront de vous.

A lʼinverse, on conte lʼhistoire des mouettes qui infestaient les aérodromes anglais et risquaient de provoquer des accidents à lʼenvol ou à lʼatterrissage des appareils.
Après des essais méthodiques, on sʼest aperçu que lorsque les hauts-parleurs de
lʼaérogare diffusaient la voix dʼun célèbre chanteur, elles sʼenfuyaient à tire dʼaile. 

Par contre, certaines musiques les faisaient revenir.
Sans passer par le Conservatoire, il existe en vous à ce niveau des ressources 
considérables auxquelles vous nʼavez peut-être jamais lancé un appel intelligent.
Faites-vous prêter un enregistreur et analysez votre voix sur les divers registres,
même sans un professeur qui risquerait de vous faire imiter, par routine, la voix de
Untel ou de Unetelle.

Votre registre choisi, venez-en à votre vocabulaire, ou mieux, à VOS vocabulaires.
Votre MOI est multiple : chacun de ses aspects doit avoir sa langue, son débit 
spécifique, ses informations appropriées. La courtoisie du Hao Jen qui supprime la confusion de Babel, vous conseille de vous adresser à chacun en des termes qui lui soient familiers, ou que vous lui expliquerez au mieux. Cʼest ce qui manque en général à la pédagogie, dont les informations vous arrivent sous la forme de cachets hermétiques et indigestes.

Le choix des mots, une bonne entente sur leur sens, sont à la base de toute vie en
commun et de toute compréhension de vous-même. Le Lun-Yu relate que lorsque le prince de Wei fit appeler Confucius pour le charger des affaires de lʼEtat, le 
messager demanda au Sage par quoi il commencerait. Confucius répondit : « Par la mise au point des désignations. » ET il précisa : « ...lʼhomme noble choisit des 
désignations de telle sorte quʼelles puissent être employées sans équivoque dans le discours, et il compose ses discours de telle sorte quʼils puissent sans équivoque se transformer en actes. Pour lʼhomme noble, il nʼest rien dʼinsignifiant dans son propre discours. »

Mais le progrès aime lʼeau trouble, dans les mots comme dans les contrats quʼils
composent. Le Hao Jen, qui cherche à se protéger des questions mal posées, doit bien comprendre son interpellateur avant de répondre. Sʼil ne le peut pas, il
sʼesquive.
En touchant aux parois de la Juste Parole, à ce quʼil ne faut pas dire, vous trouvez
dʼabord le mensonge. Cela se retrouve dans toutes les voies de la tradition.
Ainsi selon lʼEvangile : « Que votre oui soit oui, que votre non soit non. Ce quʼon y
ajoute vient du diable. »

Lʼabstention de lʼinjure a les mêmes motifs physiologiques que le balayage mental
des pensées agressives. Lʼemploi de lʼinjure déclenche une suite de désordres
fonctionnels : montée brusque de la tension artérielle, expression vultueuse, yeux
exorbités, crispations incohérentes de la musculature de la bouche. Lʼinjure est aussi nuisible que la peur, car au fond cʼest une peur qui se transfère dans lʼaction. Mais la peur est un état imposé, alors que lʼinjure est un fait créé par vous. Vous pouvez et vous devez lʼéviter.

Dans vos paroles, la chasse aux niaiseries est plus délicate. Comme la vie en
commun est assez monotone, la plupart des contemporains essaient dʼen sortir
quelques instants en la décrivant de façon caricaturale ! Cʼest le fond de lʼhumour.
Mais le désir de briller, de concrétiser son illusion de personnalité, le rend vite
systématique. Lʼhumour devient souvent alors une simple attitude, oiseuse, pénible, et lʼon retrouve « la blonde », racisme inconscient stigmatisé par le rigolo de service qui devrait cesser de sʼessouffler à jouer un personnage artificiel et justement pas drôle, et qui nʼest aucun des LUI-MEME profonds.

Rien nʼest plus nuisible, à cause de leur fréquence, que ces conversations à bâtons
rompus, se poursuivant dans lʼépuisant bruit de fond dʼun lieu public, ou en
surimpression des hauts-parleurs de radio et de télévision, entre quatre personnes
soutenant deux dialogues croisés, sur des timbres aigus pour se faire quand même
entendre. Le fil des idées se détord et sʼeffiloche, les formules toutes faites se
multiplient, les parasites mentaux sans suite foisonnent et lʼesprit sʼencrasse dans
une fatigue telle que les maux de tête ne tardent pas à apparaître

Malheureusement, les contacts sociaux des loisirs prennent beaucoup trop souvent
cette allure. Le Hao Jen, convié chez quelquʼun, devrait pouvoir, après une profonde révérence, aller couper le poste de radio ou éteindre lʼécran de télévision avant dʼengager la conversation. Cela neutraliserait au moins les niaiseries qui émanent parfois de ces voies insistantes.

Une juste parole doit être ressentie avant dʼêtre énoncée. Elle doit être énoncée sous une forme qui ne bouleverse pas lʼinterlocuteur, dans sa langue familière. Elle ne doit ni le désorienter ni lʼaccabler comme une plaidoirie, en citant des gens quʼil ne connaît pas à lʼappui de son contenu.

Vous cherchez un sujet de méditation sur la Juste Parole ? Pensez à cette phrase de Léonard de Vinci : « Lʼappel aux références nʼest pas une preuve dʼintelligence,
mais de mémoire. »
Relisez-la encore un fois.
Si le double fait de la trouver ici même, et de ce que sa présence constitue en soi un appel à référence vous intrigue, vous agace peut-être et vous ouvre des horizons, vous êtes tout près dʼavoir saisi ce quʼest la Juste Parole !
Cette phrase est un « habile procédé » pour franchir une porte de plus dans le
labyrinthe de vos MOI. Bonne continuation !


4 - Quatrième sentier : la Juste Action.

La frontière, cette fois encore est classique. Elle est formée des deux premiers actes de mérite :
ne pas tuer,
ne pas voler


Le Hao Jen sait parfaitement utiliser ses «libertés», sous bien des formes qui
lʼexaltent en enrichissant son monde mental.
Les arts, la recherche scientifique, la culture de végétaux, lʼélevage, lʼamélioration du foyer, lʼamour des gestes quotidiens, de la cuisine, de lʼhygiène, de lʼair et du soleil, du jeu des saisons, tout cela est « Juste Action. »

Cʼest aux frontières que le problème se complique, à cause des impératifs et de
sollicitations du progrès. Le progrès attire avec une insistance que lʼon pourrait croire aveugle si on ne la sentait pas intéressée.
Ici, il suffit de prendre conscience, par vous-même, de ce quʼest lʼhonnêteté, et plus
encore : le non-vol.
A lʼorigine des sociétés, la division du travail sʼappuie sur lʼégal bon-vouloir de
chacun, présent à chaque échelon des capacités individuelles. Le travail qui
sʼexécute sans contrat précis peut être fatigant pour lʼorganisme ; il nʼest jamais
pénible pour le mental, puisque VOLONTAIRE.

Auparavant, il arrive que les castes dirigeantes lâchent du lest pour retarder
lʼéchéance violente. Elles tolèrent aux castes directement inférieures le « bénéfice » et une certaine proportion de fraude qui les rallient au camp des dirigeants. A la
base, les classes productrices voient sʼaccroître les charges ; les moins intelligents
de leurs membres sʼen évadent par le vol. LʼEurope répond pas des gibets, lʼAfrique par des poignets coupés, lʼAsie par lʼempalement, mais les voleurs tentent toujours leur « chance ».

Le vol commence exactement lorsque quelquʼun détient un objet ou un être quʼil nʼa
pas fabriqué, élevé ou acquis en échange dʼune loyale quantité de travail.

En ce sens, le Hao Jen refuse de spéculer, dʼacquérir par la violence ou la ruse, et même de concourir avec des moyens que ne possèdent pas les autres concurrents.Une psychologue, faisant passer des tests à de jeunes Tibétains, a vu les plus

rapides sʼarrêter de travailler pour laisser aux moins doués le temps de finir leurs
épreuves. Cʼest dans ce sens que la recherche de lʼéveil pour le Hao Jen rappelle la course dʼAlice au pays des Merveilles, de Lewis Carrol, où chacun part quand il veut, sʼarrête quand il veut, et où à la fin tout le monde reçoit un prix.
Lʼaltruisme sʼy appuie sur une base beaucoup plus large que la simple
« capitalisation » des bonnes actions. Il est la réponse directe à une soif constante
dʼharmonie et dʼégalité, un refus esthétique de porter ombrage ou de chiper de la vie à lʼentourage.

Vous pourriez penser, comme précédemment, que le Hao Jen est un éternel
« pigeon », que de suivre les sentiers lʼempêche de « se défendre ». Cʼest inexact,
car par tendance spécifique le Hao Jen ne fréquente jamais les spéculateurs, les
parasites et les escrocs.
Si cette limitation vous amène à réviser vos relations, ne le regrettez pas...


5 - Cinquième sentier : le juste Moyen de Vie.

Si vous avez déjà pratiqué une réflexion méditative sur votre métier, il est probable
que votre jugement a opéré un tri entre ce quʼil avait de digne, de moins digne et de
regrettable. Il est probable que vous avez déjà décidé dʼen changer sʼil était
incompatible avec le Tao du Hao Jen.

Aujourdʼhui, donc, vous ne vendez pas dʼarmes aux rebelles, vous ne négociez pas
par téléphone les charmes des jeunes personnes, vous ne mettez pas de veaux
crevés dans votre charcuterie, vous nʼenivrez pas vos clients. Vous ne colportez pas de cocaïne, vous ne demandez pas 15 % dʼintérêt mensuel sur lʼargent que vous prêtez à vos amis. Vos kilogrammes pèsent à peu près un litre dʼeau et vous rendez scrupuleusement la monnaie...

Toutefois, il faut revenir sur lʼune des frontières que trace la Voie et sur laquelle nous vous devons une explication.
Il a été écrit que la voie du Hao Jen était une voie «magique». Le mot était source
dʼune grande confusion et cʼest pourquoi nous lʼavons banni et remplacé par celui qui exprime très exactement la Voie, à savoir : voie «intuitive» ou voie «évolutive».

Ainsi, la Voie du Hao Jen nous apprend que « dire la bonne aventure est une
mauvaise façon de vivre ». La tradition a toujours enseigné cela. Dans ce domaine,
la Bible est encore plus explicite (Deut. XIX, 10 et 11). « Quʼon ne trouve chez toi
personne qui fasse passer son fils ou sa fille par le feu, personne qui exerce le métier de devin, dʼastrologue, dʼaugure, de magicien, dʼenchanteur, personne qui consulte ceux qui évoquent les esprits ou disent la bonne aventure, personne qui interroge les morts. »

LʼEvangile surtout (Marc XIII, 21 et 22) est formel ! « Si quelquʼun vous dit alors :
« Le Christ est ici », ou « Il est là », ne le croyez pas. Car il sʼélèvera de faux christs
et de faux prophètes. Ils feront des prodiges et des miracles pour séduire les élus, sʼil était possible. Soyez sur vos gardes : je vous ai tout annoncé dʼavance . »

Aussi, en Occident, le fait de déléguer une décision à un jeu de cartes ou à du marc de café devient-il une habitue latente. Comme le progrès tolère les charlatans pour la propagande de ses jeux, tandis quʼun certain nombre de ses dirigeants consulte lavoyante au moindre doute ou au moindre vertige, la raison des interdictions précédentes nʼapparaît plus très clairement.

Peut-être penserez-vous : «vous affirmez que la tradition sʼoppose à la magie. Mais il existe une magie traditionnelle !».
Nous nʼavons jamais dit que la magie nʼexistait pas, quʼelle nʼétait pas traditionnelle
ni quʼelle était bannie par la tradition.

Nous avons simplement dit que selon la tradition, «dire la bonne aventure est une
mauvaise façon de vivre». Dʼune part parce que la magie ne doit jamais se
monnayer, et dʼautre part parce que lʼétalage de «pouvoir» sʼoppose à lʼéveil et à la
libération. Nous connaissons même un pratiquant de la Voie du Hao Jen qui frôla et
rata lʼéveil en ouvrant un cabinet de voyance à partir des enseignements reçus. Il le
paya lourdement de sa santé et perdit tous ses «pouvoirs»

La pratique des exercices de la voie évolutive confère une clairvoyance surprenante et comme lui vous pourriez être entraîné à jouer malgré vous au voyant de music-hall. Pour éviter cela vous devez vous engager envers vous-même à ne jamais prostituer les pouvoirs exceptionnels (siddhis) que la Voie intuitive développe inévitablement en vous si vous pratiquez en Conscience.

Il nous faut aussi vous dire autre chose. Si au-delà de votre pensée, vous craignez
de vous dévoyer dans la magie, tout sera mis en oeuvre pour vous empêcher de
goûter au fruit dangereux. Cʼest cela qui explique que certains pratiquants ne
parviennent à aucun résultat sur la Voie Evolutive. Cʼest pour eux que la pratique des sentiers est nécessaire. Par expérience nous savons aussi quʼil faut se conformer au désir de lʼêtre véritable que vous êtes et que vous cherchez à éveiller.


6 - Sixième sentier : le Juste Effort.


Cʼest un escalier de quatre marches:

La première est : éviter.
Cela correspond à « éliminer toute perception menant à une chose déméritoire ».
En langue courante, cʼest résister aux agents provocateurs qui jouent sur votre
cupidité, votre crédulité ou votre concupiscence, voire même sur votre simple
sensibilité. Ce peuvent être des individus, des symboles, des objets ou des climats.

A vous dʼen faire le tri.
La deuxième marche est : surmonter.

Cela veut dire « éliminer tout SOUVENIR de perception menant à une chose
déméritoire ».
En langue courante cʼest « Jʼai compris, je ne le referai plus ».

Et cela sans aucun sentiment de culpabilité maladive.
La troisième marche est : développer.

Elle contient en puissance les deux derniers sentiers, Juste Attention et Juste
Concentration, mais elle comporte la culture de votre énergie, de votre joie et de
votre sérénité.
Trop souvent, direz-vous, énergie, joie et sérénité disparaissent avec le terme, la
note de gaz, la grippe du petit et la feuille dʼimpôts, quand ce nʼest pas avec la
grêle qui a haché toutes les jeunes vignes. Le Tchʼan ne vous a jamais conseillé de
répondre à un début dʼincendie par un sourire énigmatique. Le Tchʼan étant VOUS-
MÊME, il est évident que vous faites dʼabord face aux difficultés. Mais vous ne les
REMACHEZ PAS. Sitôt résolues, même partiellement, vous vous remettez à ce
votre sérénité (qui est le plus grand des biens). Et vous ne racontez pas vos
malheurs, MEME PAS A VOUS-MÊME.

La quatrième marche est : Maintenir.
Elle consiste à se créer le goût de lʼeffort en soi, à faire passer lʼeffort à lʼétat de
réflexe agréable. Elle exige une maîtrise du souffle et de tous les percepts, et
supporte mal lʼobésité. Par contre, elle nʼa pas besoin dʼêtre poussée jusquʼà
lʼascétisme total où se sont complus parfois certains qui confondaient « le doigt et
la lune ». 


7 - Septième sentier : la Juste Attention.

Vous avez remarqué que les six premiers sentiers étaient CONTRE certaines
pensées et certaines actions. Vous y avez rencontré une suite de « Ne pas... ne
pas... ne pas... ». En survolant la jungle de votre vie où ils sʼinsèrent, vous les
verriez comme des pistes étroites bien limitées par des barrières vous déconseillant de vous en écarter.

Comme vous nʼêtes fait que de votre propre pensée et des gestes quʼelle vous
inspire, ces six sentiers sont donc une généralisation du balayage de ce quʼil est
nuisible de concevoir et de faire.
Avec le septième sentier, vous entrez en vous-même de façon active. Les six
premiers étaient des feux rouges. Le septième et le huitième sont des feux verts. Ils
vous crient : « Allez... »
Le septième, cʼest la suite de points où Shen peut sʼexercer à la localisation avec le
maximum dʼefficacité.
La tradition indienne dʼoù vient le bouddhisme nous enseigne cela de la manière
suivante :

La Juste Attention, cʼest au fond, la «dhâranâ» elle-même, qui est universelle chez
tous les êtres humains ne se contentant pas de lʼétat dʼestomacs sur pieds.
La «dhâranâ» est le premier tiers de lʼacte dʼillumination interne, du «samyana» dont les deux autres phases sont la concentration (dhyâna) et lʼintégration (samâdhi). En «dhâranâ», ayant « essuyé le tableau noir », vous allez y tracer un seul signe choisi par vous. Le sentier de la Juste Attention, cʼest dʼabord le choix de ce signe unique.
La tradition chrétienne nous enseigne la même chose :
Le sentier de la Juste Attention est la conquête de «lʼétat de Grâce». Il sʼobtient par

un balayage mental qui sʼappelle alors « recueillement », puis une localisation qui est le « choix dʼOraison », puis une concentration qui est la « vision de Dieu à travers lʼessence de lʼobjet », puis enfin une intégration qui est la « sensation de soi EN Dieu. »

Pour le Tchʼan, manifestation de la logique PRATIQUE chinoise, la méditation
commence et finit avec une localisation spéciale. Son objet, sa matière première, est une phrase, une question ou une anecdote étrangère au Hao Jen, généralement obscure, contradictoire ou idiote en apparence.

Le Tchʼan chinois lʼappelle koug-an. Le Zen japonais lʼappelle kôan. En Occident, ce dernier mot est plus familier, par suite du grand retentissement des « Essais sur le bouddhisme Zen » de Daisetz Teitaro Suzuki, qui était nippon.
La voie du Hao Jen, plus progressive, conserve la concentration et lʼintégration
comme étapes distinctes APRES la localisation. Celle-ci est conseillée surtout en
fonction des « pouvoirs » que le Hao Jen cherche à maîtriser.

Au départ, son attention se bloque sur un objet dont il souhaite pénétrer la constitution et le fonctionnement intimes. Sʼil sʼagit dʼune des caractéristiques de LUI-MÊME, le Hao Jen centre son attention sur une partie de son corps où il peut la fixer avec vraisemblance. Cʼest ainsi que vous avez précédemment commencer les exercices de sortie en dehors du corps.

La Juste Attention peut donc se localiser dʼabord sur le corps humain. Vous la
pratiquez au cours de lʼexercice du Yin-Yang. Elle amène la maîtrise de la douleur,
de la peur, du froid et de la chaleur, de la faim et de la soif, des répulsions pour les
reptiles et les insectes.


Si vous la centrez sur un de vos organes de réception, vous pouvez percevoir les
auras, soigner, étendre votre registre dʼaudition et son acuité (sélection dʼun timbre
dans le brouhaha). Vous pouvez percevoir et différencier goûts et odeurs à des
dilutions de deux décimales plus hautes que celles ressenties par vos
contemporains. Vous pouvez mesurer, du bout des doigts des mains et des pieds,
non seulement la température ou la rugosité des objets, mais aussi leur état
électrostatique, leur pH (acidité ou basicité) et parfois leur composition chimique
brute.


Il nʼy a là aucune magie, aucune « perception extrasensorielle ». Le dégustateur en
crus fameux est Hao Jen sur ce point, sans le savoir, tout comme lʼexpert en
parfumerie, le bon peintre, le compositeur de musique et le contrôleur de tissage.
Mais le Hao Jen, lui, est un peu expert en TOUT, en le voulant et en le sachant. Cʼest toute la différence. Les premiers ont multiplié les localisations sur lʼorgane de leur métier ou de leur vocation, et sʼen sont tenus là. Le second, VOUS, a envie dʼaller partout, et il y va.


Enfin, au fond, la localisation peut porter sur nʼimporte quoi. Sur un phénomène qui
vous intrigue, et que vous élucidez ensuite « sur pièces », cʼest-à-dire avec des
éléments extraits de votre mémoire. Sur une aversion qui vous paraît tout dʼabord
sans motif. Sur un problème où le nombre des « variables » est plus élevé que le
nombre de « relations », où il y trop dʼinconnues et pas assez dʼéquations.

Ces localisations de la Juste Attention sont pratiquées dʼinstinct par beaucoup de
gens, surtout par les femmes en qui elles déterminent la fameuse intuition féminine.
Vous les retrouvez chez le fervent des mots croisés, chez le chef du personnel
dʼentreprise, chez le mathématicien qui résout une fonction par dérivations partielles.
La voie du Hao Jen les classe ainsi : Attention sur les phénomènes, Attention sur les sentiments, Attention sur lʼesprit. Ici, avec la forêt de corrélations qui sʼétablissent chaque jour dans la multitude dʼobjets créés, elles sʼentre-tissent toutes les trois.

Dans un sens, cʼest un avantage parce que la discrimination illusoire entre le
penseur et la chose pensée sʼévanouit plus vite.


8 - Huitième sentier : la Juste Libération.

Ce sont les deux étapes ultimes de lʼéveil selon la Voie du Hao Jen:

Première étape cʼest la Juste Concentration.
Pour tous les disciples du Bouddha, de Jésus et de Mahomet, cʼest la
« méditation ». Pour VOUS, cʼest ne pas se laisser déranger, ni par lʼentourage, ni 
par les pendules, ni par une contraction physiologique, ni par la pensée.

Cʼest être là : vous êtes observateur du geste ou de la parole, et en même temps
vous êtes le geste ou la parole.
Vous le faites certainement déjà dʼinstinct. Souvenez-vous : il vous est bien arrivé,
au cours dʼune conversation banale, de ressentir en éclair que tel mot courant, tel
détail évoqué, avait un DOUBLE sens pour VOUS seul. Cela passe comme un
court rayon de soleil sur le paysage, un jour à gros nuages. Dans le bref faisceau
de ce détail ou de ce mot, une suite de rapprochements inattendus a jailli. Pendant
un dixième de seconde, vous avez été jeté AILLEURS, dans dʼautres circonstances
vécues ou rêvées auparavant et que vous aviez oubliées.

Dans ces cas, assez rares en vie courante, vous avez eu lʼenvie désespérée dʼêtre
seul, dʼarrêter le temps qui sʼécoulait, de voir plus intimement cet AILLEURS surgit
de votre inconscient.
Vous étiez comme cet homme abandonné depuis longtemps, apercevant en éclair
la femme fugitive et toujours adorée, mais dans le train qui CROISE celui où il se
trouve lui-même. Il ressent une envie frénétique de bloquer les deux convois pour
passer de lʼun à lʼautre, puis il souhaite sans effet un télescopage, puis de prendre
un avion au prochain arrêt, ou de sauter tout de suite en marche... Puis... puis les
fils télégraphiques reprennent leur balancement monotone, le battement des roues
scande de nouveau le défilement du paysage, et lʼhomme saisit son journal en se
disant : « Cʼétait une simple ressemblance... ».

La Juste Concentration consiste à arrêter les convois, et souvent à les faire reculer.
La Juste Concentration est un état mental affranchi du temps physiologique usuel.
Il vous fait partir à la PERPENDICULAIRE de la ligne des faits vécus. Il vous
ménage une sorte de récréation libre au beau milieu du cours de la réalité.
Ici, en général, les psychiatres font la moue. Ils parlent de « transe épileptoïde
auto-suggestive », dʼhystérie ou de crise autistique, suivant lʼépoque et lʼécole.

Seconde étape, cʼest la Juste Intégration. Cʼest comme une brise qui passe sur la
joue du dormeur et qui lʼéveille.

Un zest de rêve !

Nyânatiloka, de lʼermitage bouddhiste de Dodanduwa, dans lʼîle de Ceylan,
suggère dʼabord une concentration « proche ». Et quel quʼen soit lʼobjet, lʼadepte en
conçoit simultanément la représentation mentale profonde, la fugacité, la fragilité et
le caractère impersonnel. Cʼest la vision dépouillée. Ensuite, il passe par quatre
degrés où il élimine lʼun après lʼautre le doute, lʼanalyse, la curiosité et la
satisfaction. A ce stade, le mental est dans un état stable, dépourvu des notions de
forme, dʼespace et de temps. Il est comme un phénomène ou une roue placée hors
de tout repère, et par conséquent ne sachant pas si elle tourne ou non. Cʼest le
samâdhi (lʼéveil).

Vous trouverez cela partout. Pour le chrétien, cʼest lʼextase. Pour le Zen, cʼest le
satori, lʼillumination ; pour le poète et le compositeur, lʼinspiration ; pour le
chercheur, la tranche de rupture qui sépare lʼignorance et la solution ; pour le
cultivateur, cʼest le blé qui lève ; pour lʼarchitecte, la vision complète de lʼédifice à
construire. Dans tous les cas, il nʼy a plus de distinction entre le penseur et lʼobjet
pensé.

Revenons au Hao Jen

Lʼintellect du Hao Jen se comporte comme un trapéziste.
Lors du balayage mental, il saute pour sʼagripper au trapèze. Il oublie le sol, la piste
et les spectateurs.
Dans la localisation, toute sa masse de pensée se centre sur la barre et les cordes
qui le soutiennent. Son corps sʼanime.
Dans la concentration, les oscillations se rythment, se polarisent dans le plan vertical, sʼamplifient de plus en plus.

Puis, tout à coup, à lʼextrémité dʼune dernière oscillation très étendue, son corps se
relaxe complètement, ses mains lâchent la barre et il va se jucher par pure inertie sur la minuscule plat-forme qui lʼattendait depuis le début dans les cintres. Il sʼy trouve soudainement en repos, il embrasse dʼun seul regard tout le monde complexe et bruyant dʼoù il sʼest extrait, le ciel immobile qui le coiffe, et le temps sʼarrête : il est en «samâdhi», en intégration, et là, sʼil le veut, il sʼéveille

Cette dernière intégration peut sʼobtenir directement par la répétition du Nom, qui
peut être un mantra spécifique, la litanie chrétienne, le nom dʼAllah dans le soufisme ou le Aoum dans le Japa-Yoga de Swâmi Râmdâs. Le caractère rythmé de ces répétitions met la conscience en résonance, comme la marche au pas cadencé dʼune troupe sur un pont, jusquʼà son éclatement en «samâdhi» (éveil).

Si vous vous trouvez ici un peu perdu au milieu de la diversité de ces méthodes, de
la multiplicité des buts quʼelles vous proposent, pensez que la Voie du Hao Jen nʼest jamais un « prêt à porter », mais de la haut-couture où vous choisissez vous-même votre tissu, votre coupe et où vous faites vous-même vos essayages. Sans cela, la Voie du Hao Jen ne serait pas individuelle, mais une simple doctrine parmi dʼautres, où lʼon essaie de faire marcher votre mental déçu avec des chaussures trop étroites ou trop larges.