lundi 8 février 2021

La mort selon le Tch'an

 

Xi Tch'an - Hexagramme 62

 
En cet instant même, lisant ces lignes, reportez-vous à lʼaube du jour que vous vivez. Une façon comme une autre de ressentir lʼimpermanence dans la permanence... Ou lʼinverse ...En effet, imaginez lʼaube pour une personne qui habiterait Paris ... Une heure avant quʼelle nʼapparaisse au parisien, elle éclairait déjà les cimes du Tyrol.Une heure plus tard, elle caressera les mâts des bateaux brestois. Il sera midi, quand cette aube réveillera le new-yorkais ! Et lorsque ce dernier termine sa journée, elle lève le voile nocturne sur les vagues du Pacifique. Et le parisien dormira déjà lorsquʼelle éveillera lʼhabitant dʼAuckland.Cependant, lʼaube de ce jour a été, pour vous !
Lʼavez-vous bien sentie ? Etes-vous sûr de lʼavoir vécue ? Ou simplement subie ? Revenons à ce matin ... Où vous trouviez-vous juste avant de vous éveiller ? Vous souvenez-vous de lʼunivers de votre sommeil ?
 

Et si dormir était un entraînement à mourir ?

 
On a dit : ce qui est craint dans la mort (disons plutôt : dans lʼidée que les hommes se font de la mort) cʼest lʼinconnu. Et la sagesse des nations dʼajouter, impavide : on ne meurt quʼune fois.Erreur ! La mort nʼest pas lʼagonie, phénomène appartenant au passé immédiat,mais au passé tout de même.La mort nʼest pas “lʼau-delà”, phénomène (?) appartenant au futur .
La mort cʼest bien, dans lʼinstant, la cessation de toute perception et de toute sensation.
Sachez-le, lʼêtre humain, comme la presque totalité des vivants, meurt des milliers de fois ... Il meurt chaque fois quʼil sombre dans le sommeil dit paradoxal.En effet, pendant le sommeil paradoxal nous sommes en véritable décorporation et notre conscience est “anéantie” eu égard à lʼespace-temps de notre conscience dʼêtre humain non éveillé. 
 
Lʼactivité cérébrale qui accompagne les phases de sommeil paradoxal ne relève pas de notre conscience. Nous aurons lʼoccasion dʼen reparler.Comme (un petit nombre de grands angoissés mis à part) les humains ne redoutent guère la venue du sommeil, il est permis de dire que notre espèce, seule (à notre niveau de connaissance) à se savoir mortelle, ne craint pas la mort elle même, mais ses “à cotés”: agonie dʼune part, et “au-delà” - ou “absence dʼau-delà” dʼautre part. 

 

La mort : Un sujet majeur:

 
Cʼest un sujet majeur, puisque lʼhomme se sait mortel, et du point de vue de lʼhomme non libéré, cela est un problème.Nous allons tenter une définition dynamique dʼun problème.
Un problème survient pour une personne lorsquʼelle considère et postule en même temps deux données contradictoires. Dans le sujet que nous évoquons, voici ce qui pose problème : 
 
  • La première considération de lʼhomme cʼest quʼil constate la mort autour de lui. Le premier postulat est donc que lʼhomme est mortel. 
  •  La seconde considération est que dʼune part il se sent vivant, et que dʼautre part certains prétendent avoir déjà vécu et promettent la renaissance (dans un paradis ou sur terre). Le second postulat est donc la survie. 
 
Cette opposition de deux postulats est la source du problème de lʼhomme non libéré sur le sujet de la mort. 
 
Nous allons évoquer la mort selon le point de vue habituel de lʼhomme non libéré, nous nous réserverons pour plus tard une autre approche que nous espérons éveillante. 
 

Quʼest-ce que la mort ? 

Les définitions ne sont pas si claires que cela.

  • Dʼune part il est dit que la mort est la cessation de la vie et peut être considérée comme un phénomène inhérent à la condition humaine ou animale. 
  • Dʼautre part ce sont les circonstances de cette fin qui définissent la mort. Cela donne alors diverses opinions que vous connaissez : 
  1. Moi ce qui me fait peur, ce sont les souffrances de lʼagonie. 
  2. Moi, ce qui mʼinquiète, cʼest après : que se passe-t-il après ? Ne plus être ? Cʼest impensable ! 
Notez en passant, que cette seconde opinion est par définition, exacte : le néant ne peut réellement être évoqué et pensé.Il y a, bien entendu, des gens qui ne pensent pratiquement jamais à leur propre mort. Dʼautres qui y pensent parfois et qui, soit sincèrement, soit par forfanterie, affirment ne pas la craindre. Mais, en gros, lorsquʼune personne déclare franchement craindre la mort, il sʼavère, en définitive, que ses craintes appartiennent à la catégorie “peur de la souffrance” ou “peur de lʼau-delà” (ou de “lʼabsence de lʼau-delà”)
 
Il y a aussi et surtout lʼattachement compulsif aux habitudes de vie. Cʼest là un facteur inconscient que nous évoquerons plus tard, lorsque nous traiterons de la vie au présent, et de la simultanéité qui transcende notre perception linéaire du temps.Bref, la mort est une chose et les circonstances de la mort en sont une autre.
 

Lʼagonie nʼest pas la mort:

 
La mort ne doit pas être confondue avec lʼagonie, phénomène terminant la vie mais faisant partie de cette vie.Il est, cʼest certain, des agonies abominables, avec accompagnement de souffrances atroces. Mais il est aussi des agonies douces, sans souffrances.Lʼorganisme humain peut, en cours dʼexistence et sans que la vie soit réellement en danger, supporter des douleurs paroxystiques. Songez aux coliques néphrétiques ou hépatiques, ou même à bon nombre dʼaccouchements. 
 
Il est très largement prouvé, aujourdʼhui, que bien des décès ne sont pas précédés par de très grandes souffrances ! Quant à la crainte de lʼau-delà, cʼest autre chose et nous y reviendrons longuement.Ce que nous voulons vous inviter à noter dès maintenant est ceci :lʼagonie nʼest pas plus la mort que les fiançailles ne sont le mariage” ... Et lʼau-delà nʼest pas non plus la mort. Cʼest, du point de vue de la personne qui évoque cet “au-delà”, “ lʼaprès mort”. 

 

Perception, sensation et mort:

 
Précédemment, reprenant les définitions classiques du dictionnaire, et en appliquant à la mort le terme “phénomène” inhérent à la condition humaine ou animale, nous commettions une impropriété.Strictement parlant et du point de vue humain, un phénomène est quelque chose de perçu, dʼune façon ou dʼune autre, qui provoque la manifestation dʼune sensation. Or, précisément, la mort, du point de vue du moment, cʼest simplement la cessation de la perception des phénomènes et par conséquence la cessation des sensations. 

 

Distinction entre perception et sensation:

Au commencement est le “percept” vécu directement, cʼest-à-dire non analysé, non passé par lʼintellect. Un ensemble de “percepts” constitue la perception. Lorsque, par la pensée (consciente ou non) lʼon donne sens à cette perception, nous créons une sensation qui de ce fait nous éloigne du vécu. 

 
Prenons un exemple pour mieux comprendre : le surfeur qui saute de vague en vague sans “penser”, est dans la perception directe. Dès quʼil pense et analyse, il prend le risque de nʼêtre plus “au présent” (dans le mouvement vital pourrions-nous dire) et de chuter. Il en est de même avec toute sensation. 
 
La sensation nous piège lorsquʼelle sʼimpose à la conscience comme étant “le” réel, alors quʼelle nʼest que construction “dʼun” réel.Et la mort justement, étant cessation de la perception des phénomènes et par conséquence la cessation des sensations, correspond à la cessation du réel“construit “ par ces mêmes sensations. 
 
La mort cʼest bien, dans lʼinstant, la cessation de toute perception et de toute sensation. 
 
Et répétons-le, lʼêtre humain, comme la presque totalité des vivants, meurt des milliers de fois ... Il meurt chaque fois quʼil sombre dans le sommeil dit "paradoxal". Veuillez nous pardonner de nous répéter, mais pendant le sommeil paradoxal nous sommes en véritable dé-corporation et notre conscience est “anéantie” eu égard à lʼespace-temps de notre conscience dʼêtre humain non éveillé. 
 
Lʼactivité cérébrale qui accompagne les phases de sommeil paradoxal ne relève pas de notre conscience.Comme (un petit nombre de grands angoissés mis à part) les humains ne redoutent guère la venue du sommeil, il est permis de dire que notre espèce, seule (à notre niveau de connaissance) à se savoir mortelle, ne craint pas la mort elle-même, mais ses “à cotés”: agonie dʼune part, et “au-delà” - ou “absence dʼau-delà” dʼautre part. 

 

Est-ce là tout ? 

 
A supposer que lʼon puisse éloigner de lʼesprit humain toute crainte touchant à lʼagonie et à lʼau-delà, est-ce que lʼêtre humain en viendrait pour autant à accepter sans récrimination la perspective de sa propre mort ? 
La réponse est encore non. Parce que lʼhomme a encore dʼautres problèmes.

 

Les problèmes:

Pour vous éviter de revenir en arrière, rappelez-vous que nous avons défini un problème pour une personne lorsquʼelle considère et postule en même temps deux données contradictoires. Le problème est quelque chose de typiquement humain. La nature ignore les problèmes et ne connaît que les solutions. Lʼhomme aussi connaît les solutions (à ses problèmes). Il les dit bonnes ou mauvaises, selon quʼelles correspondent ou non avec lʼidée quʼil se fait de la façon dont un problème doit être résolu.Or, le propre du problème, tel que le voit notre espèce, est de ne jamais pouvoir être résolu de façon définitive (encore un aspect du temps!). Voici, à titre documentaire, une liste de problèmes humains. Elle est, bien entendu, non exhaustive, mais nous gageons tout de même quʼà la lecture vous en pointerez au passage certains :
  • Je nʼai pas assez dʼargent pour faire ce que je souhaite accomplir (variante : pour me sentir en sécurité)
  • Jʼai de lʼargent et je crains de le perdre. 
  • Ma santé, (ou celle dʼun être cher) est mauvaise. 
  • Jʼai échoué - ou je crains dʼéchouer - ou un de mes enfants a échoué - ou je crains quʼil nʼéchoue - à un examen, un concours. 
  • Je suis faible, timide, malchanceux, sans mémoire. 
  • Je viens dʼêtre licencié - ou je crains de lʼêtre - dʼun emploi intéressant. (variante : je fais un métier sans intérêt).
  • Ma femme, ou mon mari, me trompe, ou vient de me quitter. 
  • Je viens de perdre un être cher. (Comme si lʼêtre en question était à moi, ni plus ni moins quʼun trousseau de clefs).
  • Jʼavais de grandes ambitions: elle sont déçues. 
  • Jʼai des ennemis. je nʼai pas dʼamis. 
  • Les gens sont mauvais et “on mʼen veut”. (ici, le problème cesse dʼêtre personnel). 
  • Je ne plais pas aux personnes de lʼautre sexe (ou je leur plais trop; rare, de donner cela comme problème, mais cela existe).
  • Je souffre parce quʼil y a tant de malheurs sur cette terre : la faim dans le monde, les malades, le sida, les “économiquement faibles” et même les animaux torturés dans les laboratoires.  
  • Je suis angoissé sans savoir pourquoi ou parce que ... Voir plus haut ...
La liste nʼest pas limitative : simple échantillonnage même, des problèmes humains. Nous nʼavons nullement lʼintention de nous moquer ni de traiter ces problèmes à la légère. Dʼailleurs si un problème est vrai pour quelquʼun, nous nʼavons pas à mettre en doute sa réalité. 
Ce qui est vrai pour autrui, est vrai pour lui. Ni évaluation ni invalidation. Telle est la règle du tchʼan, qui dʼailleurs recommande de ne jamais sʼoccuper de quelquʼun qui nʼa rien demandé. Nous vous demandons de bien vous en souvenir...
 
Mais, ce que nous voudrions vous faire remarquer pour le moment est quʼil en est des problèmes comme des clous dont le dicton affirme “quʼun clou chasse lʼautre”. Tout problème, au moment où il se pose, est crucial : quelques années plus tard, alors quʼil est résolu à notre satisfaction ou à notre insatisfaction, il nous apparaît souvent bénin, comparé à ceux qui nʼont pas manqué dʼapparaître après résolution du premier.
 

Le piège du désir de permanence:

Revenons maintenant à ce qui a motivé cet exposé : le désir humain de durer dans son apparence. Vous commencez à comprendre où nous voulons en venir. Lʼêtre humain non-libéré estime quʼil est uniquement cet “assemblage de chair et dʼos de cinq pieds et six pouces” pour reprendre une expression du Bouddha.Comme il ne perçoit que cela, cet assemblage, cet agrégat, lʼhomme ordinaire sʼefforce de lui attribuer une certaine consistance et une certaine durée qui, sur le plan corpusculaire, sont absolument inexistantes.
 
Par contre, ainsi obnubilé par cette appréciation immédiate, il ne perçoit pas lʼautre relation de ce quʼil nomme “moi” avec lʼuniversel : la relation ondulatoire.Bref, il ne prend pas conscience du fait quʼil est, à la fois, bien plus quʼange, et bien moins que bête (que lʼidée quʼil se fait de la bête ).
 
Par conséquent, il se préoccupe à peu près exclusivement de résoudre les “problèmes” qui se posent à lʼagrégat appelé “je” ou “ego”. Ce qui ne serait pas un mal si les dits problèmes étaient traités comme ils doivent lʼêtre, cʼest-à-dire comme les traiterait un écolier à lʼécole primaire, cherchant honnêtement la solution, mais sans faire un drame si cette solution ne correspond pas à ce que lʼon pensait quʼelle devait être.
 

Quelles conséquences dans votre vie ? 

De ce que nous venons de voir, une évidence découle, et nous sommes désolés de vous décevoir : il est vain, pour qui veut se libérer, de faire un à priori de la résolution dʼun problème quelconque, si crucial paraisse-t-il. 
Souvenez-vous que les problèmes humains sont un peu semblables à la surface des balles de celluloïd : les pressant, les malaxant, vous pouvez faire apparaître une dépression à la surface. En la réduisant, une autre apparaître,inéluctablement, à un autre endroit. 
 
Ecoutez simplement ce que racontent les gens et vous verrez que cela est bien ainsi : 
  • Untel dit “jʼai des embarras financiers (lesquels, contrairement aux embarras de circulation causés par un excès de voitures, sont le fait dʼun manque dʼargent). Mais si les choses sʼarrangent et quʼil sʼenrichisse, il dira : «jʼai des tracas dʼargent (nuance!) et un ulcère à lʼestomac». 
  • Ou bien, “mon mari mʼa quittée». Et ensuite, «ll est revenu : il me bat”. 
  • Et encore, “on ne voulait pas que jʼépouse celle que jʼaime». Puis : «Je lʼai épousée quand même ... Hélas” ! 
  • “Jʼai échoué, lʼan dernier, au concours». Et ensuite «Cette année, jʼai réussi, et jʼai trouvé une situation : mais mon travail est abrutissant...”etc ...
Bien sûr, nous simplifions abusivement : la plupart des problèmes humains ne se présentent pas sous cet aspect caricatural et un nouveau problème ne naît pas, fatalement, tant sʼen faut, de la résolution du précédent. Il y a des périodes dʼaccalmies, de chance (plus ou moins perturbées, du reste, par la crainte du “demain que sera-t-il “ ?), mais dans lʼensemble, pour lʼhumain non encore libéré, un ennui succède à lʼautre. 
 
Retenez bien ceci : Qui fait de la résolution dʼun problème quelconque un préalable à une tentative de libération est dans lʼerreur. On peut, par une discipline simple, parvenir à voir et sa propre vie et lʼunivers sous un angle exact, se libérer du désespoir artificiel qui pèse sur la condition humaine, mais on ne peut y parvenir par fraction, par “pièces”.
 
  • Sur un certain plan, nous ne sommes même pas des fractions. Nous ne sommes rien : un vide en mouvement, ou un amas de particules. 
  • Sur un autre plan, nous sommes la totalité susceptible de devenir consciente dʼelle-même.La solution doit donc être totale. Le “problème-arbre” actuel ne doit pas monopoliser notre attention au point de nous empêcher de voir la “totalité-forêt”.
Paix, force et harmonie dans votre Vie.