mercredi 24 février 2021

 

- Du Bien et du Mal -

 


Est-il important de vous entretenir maintenant du Bien et du Mal ? 
 
Est-ce que cela a à voir avec le Tchʼan (issu rappelons-le du bouddhisme et du taoïsme originels, philosophiques et a-religieux) ?
 
Cela a de toute manière à voir avec notre éducation et nous ne saurions éviter le sujet. Nous avons déjà, dans un précédent article, entretenu de la Vie et de la Mort. Or, plus encore peut-être que la notion de Vie et de Mort, celle de Bien et de Mal, a depuis des millénaires, occupé bien des penseurs, et a façonné notre monde actuel. 
 
Du reste, “Vie et Mort” est généralement tenu pour un chapitre du grand livre “Bien et Mal”. Rappelons que la plupart des philosophes et toutes les religions sont basées sur la dualité et lʼopposition de deux principes considérés comme des absolus.  

Comment cela est-il traité ?

Les groupes qui forment lʼhumanité, fondent leurs codes de vie sur des données religieuses issues dʼun postulat de départ.
 
Pour les juifs, le monde chrétien et le monde musulman, le principe créateur est une personne : Dieu.

Il est le Bien parfait et absolu. Son adversaire est le démon et selon les textes religieux ou les époques, il jouit dʼune considération plus ou moins grande. 

  • Il peut faire partie des intimes de Yawé, devisant tranquillement avec lui (cf le livre de Job dans la Bible).
  • il peut être le Satan du moyen-âge, révolté contre Dieu, bénéficiant dʼune plus large autonomie que le précédent (mais guère plus astucieux en définitive), toujours berné par les saints ou par les paysans matois.  
  • Parfois, lʼhistoire dérape. Ainsi de Lucifer (le porteur de Lumière). Le nom Lucifer est dʼabord attribué au Christ et ensuite après le Concile de Nicée et lʼexcommunication de Monseigneur Lucifer, évêque de Cagliari, le nom est attribué au diable. Le diable, cʼest celui qui divise (dia-bolos) et qui refuse dʼaccepter que la partie ne puisse être supérieure au tout, ni la créature à son créateur. Le contraire de diabolos (qui sépare) est sym-bolos, remettre ensembles. Cʼest pourquoi, dans cet esprit, le symbolisme est un langage divin.
Il nʼy a pas que le Dieu des révélations (judaïsme, christianisme et islam), il y a Orzmud, le Dieu Bon du Zoroastrisme opposé à son égal, Ahriman (la pensée angoissée). Et dans tous ces cas, le Dieu est bon. Il faut bien quʼil le soit puisque, ayant conçu lʼhomme à son image, celui-ci (pour citer Voltaire) le lui a bien rendu. Ce qui fait quʼen vénérant le Dieu bon, dʼune bonté toute humaine, lʼhomme vénère sa propre image, sublimée ...Il est donc entendu, (en Occident) quʼil existe deux principes, complémentaires si lʼon veut, antagonistes à coup sûr: le Bien, et le Mal, avec des majuscules. Ce sont des absolus. 

Pour le bouddhisme, voici le récit de la création du monde:

Bien entendu, la cosmologie bouddhique a largement reprise la cosmologie indienne. Mais ici, il ne s'agit pas tant d'expliquer pourquoi le monde est ou naît, mais comment il est et naît. Et cʼest cela qui est intéressant. 

Selon le point de vue bouddhiste, au même titre que tous phénomènes, les univers se succèdent en un cycle ininterrompu de naissances et de morts, d'apparitions et de disparitions, dont on ne peut connaître le commencement... Lors de la naissance d'un univers, un univers parmi dʼautres, un être apparaît dans la demeure des Brahmas. Il est là en fonction de son karma, lequel est le résultat de ses bonnes actions antérieures.  

Doué de sentiments, ainsi que tout autre être sensible, ce Brahma ressentira bientôt la solitude et souhaitera l'apparition de compagnons. Ceux-ci apparaîtront bientôt, en effet, mais en raison de leur propre karma. Ce Brahma sera pourtant alors persuadé qu'il est le Mahâ-Brahma, celui qui les a suscités, créés ! Selon le bouddhisme, ce Brahma nʼest pas le Mahâ-Brahma, et il nʼy a pas de création, mais seulement le cycle des naissances et des morts.

 Il "se" croit le créateur, mais il s'est auto-créé Mahâ-Brahma - croyance d'ailleurs partagée à son tour par ceux qui le rejoignent. Ce qui s'est créé en fait, c'est lʼégo, qui n'est qu'une illusion, une simple création mentale. Le pseudo Mahâ-Brahma n'a été que le jouet de ses sensations, de ses perceptions, de ses sentiments... Ce n'est pas le monde qui s'est créé, c'est "son" monde. Il est devenu l'architecte de "sa maison", il s'est institué lui-même l'architecte d'un univers qui n'est que "son" univers.. 

 Dans cette optique, le bien et le mal ne relèveront du monde que parce qu'ils seront liés à l'idée de Soi. Ils ne sont pas une donnée fondamentale du monde "tel qu'il est" en réalité, mais de "notre" monde en tant que création mentale. 

 

Le taoïsme:

Cʼest dʼabord par des signes que le taoïsme signifie lʼidée de créateur. Cela est proche de la notion de symbole comme langage du divin.Nous retiendrons trois dessins pictographiques fondateurs de la pensée taoïste : Tai Yi, Tao et Wou.
 
Voici Tai Yi 



Tai, cʼest le dessin du haut. On voit un homme qui écarte les bras, et cela exprime quelque chose de grand.Le trait inférieur, entre les jambes accentue lʼidée, et cela devient un superlatif, et ainsi Tai révèle quelque chose de très grand, ce qui est suprême. 
 
Yi est le dessin du dessous et représente un germe qui pousse : cʼest la première manifestation de la vie.On peut donc traduire Tai Yi par “principe suprême de la vie”. Cʼest la première impulsion vitale, et par extension, le principe premier de tout ce qui existe. On peut y voir lʼidée de Créateur, sans que cette idée de créateur se ramène à une entité comme dans le cas des religions révélées.
 
Voici maintenant Tao:
 
Tao, cʼest la pensée de Tai Yi.Voyez à droite une tête, côté visage. Cette tête pense, ce qui est symbolisé par les trois émanations qui en sortent.A gauche du dessin, en bas, cʼest un pied qui laisse des traces (les trois traits au dessus à gauche). Cʼest une allusion aux signes visibles que le tao accorde à lʼhomme pour quʼil puisse lʼidentifier. Cʼest ici la justification du symbolisme./Tao est donc la pensée créatrice du Tai Yi.

Et voici Wou:


Le Tai Yi, principe créateur, et sa pensée tao, ne sont pas du domaine perceptible, et pour bien comprendre la pensée taoïste, il faut bien distinguer deux “mondes” absolument différents : 
  • le monde de la manifestation (le Ciel Postérieur), qui est celui contenant tout ce qui est perceptible, ce qui existe dans lʼespace et dans le temps
  • le monde non manifesté (le Ciel Antérieur), en dehors de lʼunivers sensible. Cʼest dans la non manifestation que réside le Tai Yi, en dehors de lʼespace et du temps dont il est créateur.Wou représente ce monde, en dehors de lʼunivers sensible.On voit dessous, un homme qui fait des efforts pour atteindre et dépasser le ciel (ici le plan supérieur, au dessus de lui).
Lʼhomme nʼy parvient pas.
 

Il est en effet hors des possibilités de lʼhomme ordinaire, de sortir de lʼespace-temps et pénétrer dans le domaine de tai Yi, qui dès lors ne peut être saisi que par intuition ou interprétation de certains signes (les traces du Tao). 

Wou est lʼimpénétrable informulé et non le néant comme certains, mal informés, lʼont proposé.Et dans cette perspective quʼen est-il des notions de Bien et de Mal ?

Quʼest-ce que le Bien, quʼest-ce que le Mal ?

Il semble apparemment aisé de répondre “le Bien cʼest ...” Mais tout compte fait, la réponse ne va pas de soi... Il est certes extrêmement facile de définir ce qui est bien et bon dans un cas particulier, mais dans lʼabsolu, sans référence à telle ou telle situation donnée, cʼest nettement plus malaisé. 
Si lʼon dit par exemple: le Bien est ce qui va dans le sens de la volonté divine et le mal est qui sʼefforce de sʼopposer à cette volonté, il convient tout dʼabord de définir la volonté en question - ce à quoi, au cours des siècles, bien des fanatiques se sont employés, avec les résultats que lʼon sait ...  
 
Dirons-nous que la vie est le Bien? Mais alors, et le Mal ? Ce serait la mort ?  
Nʼest-ce pas là, suggérer que le “principe mortel” sʼoppose à la volonté divine ? Comme en définitive (du moins du point de vue où nous nous plaçons en ce moment) toute vie se termine par la mort, cela signifierait que quelque chose , non seulement tente de lutter contre la volonté de Dieu, mais encore réussit à la vaincre. 
Constatation qui nuancerait étrangement lʼidée que nous pouvons nous faire de la Toute Puissance Divine ...
 
Dirons-nous que le mal cʼest la souffrance ?  
En ce cas, tel chirurgien qui triture le corps dʼun patient et, bien malgré lui, le fait souffrir, est un serviteur du Mal ? Devrait-il, pour obéir aux lois du Bien, bourrer le malade de morphine, et le laisser mourir sans souffrance ? Le Mal serait-il dans la souffrance inutile ? Peut-être, mais comment être vraiment certain de lʼinutilité de quoi que se soit ?
 
Nous en resterons là et défendrons le point de vue suivant: les notions humaines de bien et de mal ne sont pas des absolus. Nous ne pouvons connaître ni le Bien ni le Mal “en soi”. Bien, bon, mal et mauvais, dépendent de lʼopinion subjective de chacun qui se pose ainsi en observateur et en juge. 
 
Les conditionnements culturels:
De par nos conditionnements culturels, éducatifs, religieux et maintenant médiatiques, nombreux sʼaccordent pour dire : “ceci est bien, ceci est mal”. Au final, le Bien est ce qui nous semble bon de notre point de vue. Le Mal est ce qui, du même point de vue, semble mauvais.Lorsque nulle guerre nationale ou idéologique, nulle haine familiale ou personnelle ne nous oppose à telle personne, nous jugeons quʼil est bien, le cas échéant, de sauver sa vie, et mal de détruire cette vie. 
 
Nous exprimons à ce moment le point de vue de lʼespèce. Cʼest la simple manifestation de lʼinstinct collectif de survie. Notons, du reste, que notre attitude dans ce cas particulier, nʼest pas exemple dʼégoïsme (ce qui est dʼailleurs normal) : en défendant autrui, nous comptons bien quʼun jour, la réciproque jouera en notre faveur.
 
Notons aussi que la notion dʼauto-défense peut, chez les membres les plus évolués de notre espèce, dépasser (apparemment) le cadre de cette espèce: des humains se dévouent au sauvetage de la nature animale ou végétale. Ce faisant, ils agissent de leur mieux pour préserver lʼéquilibre écologique, lequel est nécessaire à la survie de toutes les espèces, la nôtre comprise.
Nous rappelons que du point de vue de lʼécologie, toutes les espèces existantes, y compris celles dites nuisibles, les rats et les cafards par exemple, ont leur rôle à jouer dans lʼéquilibre général. Tout dépend de tout. Dans le sud de lʼIrlande, au cours des années 50, les fermiers, pour on ne sait trop quelle raison - crainte dʼune épidémie dʼun mal transmissible à lʼhomme, semble-t-il - se défirent de leurs chats. Ce fut la catastrophe. Lʼéconomie locale dépendait à 95% de la culture du trèfle. Les mulots, se multipliant en lʼabsence de chat, détruisirent tous les nids de bourdons. Or, les bourdons sont indispensables à la fécondation du trèfle. Dans ce cas précis, les rats jouèrent un rôle négatif. Il nʼen va pas toujours ainsi ... 
 
Ne nous croyez pas sur parole. Surtout pas; réfléchissez ...
Prenons un exemple simple : un renard poursuit un lièvre. Est-il bien ou mal quʼil le rejoigne et le croque ? Le renard nʼa-il pas le droit de vivre, la nature lʼayant fait carnivore ? Le lièvre a aussi le droit de vivre. Généralement, ce genre de problème est laissé de côté par lʼhomme car, précisément, les notions de Bien et de Mal nʼinterviennent que lorsquʼil est très directement intéressé. Sʼil est chasseur, il trouvera bien de tuer le renard - et le lièvre. Mais si quelque puissant animal carnivore prend le chasseur à son tour, il trouverait mauvais que le fauve lʼattrape et le détruise. Il nʼy a nulle ironie dans ce que nous venons dʼécrire, nulle condamnation particulière de la chasse et des chasseurs. Simplement, nous essayons de montrer la subjectivité de tout jugement moral. Lʼami des animaux voyant le chasseur rejoint et attaqué par un sanglier sera partagé entre le regret de voir un autre humain souffrir et la joie de constater que lʼanimal peut éventuellement prendre sa revanche: subjectivité encore.
 
Lʼhistoire et lʼactualité:
Il est important de bien comprendre que tous, tant que nous sommes, nous mettons dans nos jugements quant au bien et au mal, une totale subjectivité.Lorsque nous disons: untel est mauvais, cʼest le plus souvent vrai de notre point de vue, mais du point de vue de lʼindividu en question cʼest toujours faux.Prenez le cas du Tibet aujourdʼhui.Du point de vue tibétain, la Chine est lʼinstrument du mal.Du point de vue chinois, le Tibet a historiquement fait partie de la Chine. ce pays était moyenâgeux. Il nʼy a pas eu dʼinvasion, mais le rétablissement du droit et un travail de modernisation, pour le bonheur même des tibétains qui un jour comprendront.Prenez le cas des étudiants tués sur la place Tien An Men.Pour lʼOccident, il sʼagit de lʼassassinat dʼétudiants cherchant la démocratie, par des militaires aux ordres de la dictature communiste. 
 
Pour le pouvoir chinois, qui dans ce cas est très confucéen et logique avec lʼhistoire de la Chine, il sʼagit de réprimer le désordre au nom de lʼordre qui est le bien social..Demeurant dans le relatif (toujours par rapport au mal et au bien) on peut classer les valeurs humaines en trois catégories, qui correspondent à des niveaux de perpétuation.
  • 1. La première catégorie, la plus “basse”, est celle de lʼégoïste reconnu pour tel par tous - sauf par lui-même, évidemment. Le bien recherché est à peu près exclusivement celui de lʼindividu lui-même. Cʼest un niveau immédiat et primaire de lʼinstinct de perpétuation.Nous sommes tous un peu ainsi et cʼest assez normal tant que lʼhomme se tient pour une individualité, tant quʼil ne parvient pas à comprendre avec tout son “être” que, dʼune part, il nʼest rien si ce nʼest une effervescence de corpuscules sans cesse naissant/mourant et que, dʼautre part, émergence consciente du Tao au sein de ce tourbillon auquel la grande rapidité des échanges donne une apparence de continuité, il est tout. Tant que lʼhomme continuera de sʼidentifier avec son corps et surtout avec sa pensée, il sera bien obligé de lutter “égoïstement”, pour protéger son faible petit “moi” contre lʼinfini cosmos qui porte en lui la fin de ce “moi”.

  • 2. La seconde catégorie, de valeurs relatives, est représentée par lʼhumain qui donne assez souvent la prédominance à la survie et au bien-être du groupe auquel il appartient (famille, clan, tribu, patrie), sur ses intérêts propres. Cʼest un second niveau de lʼinstinct de perpétuation. 

  • 3. Dans la troisième catégorie, lʼintérêt se porte sur les intérêts (plus ou moins bien compris) de lʼespèce entière. Chez les plus évolués, cette notion de pré-éminence de lʼespèce peut même être (ou paraître dépassée) et verser dans un sentiments dʼunion avec la totalité, le cosmos. Dieu. Cʼest un troisième niveau de lʼinstinct de perpétuation.

 
Tous les humains visent donc “un bien” allant de “mon bien” au Bien jugé absolu. Il est donc important de comprendre vraiment la subjectivité de cette notion. Ce que jʼappelle “bien” ne correspond pas obligatoirement à lʼidée que sʼen fait mon voisin. Il convient de tenir compte de cette particularité dans nos rapports avec autrui. Il y a, par exemple, des gens qui adorent le démon (nʼest-ce pas Mark Twain qui écrivait: tout le monde dit beaucoup de mal du Diable, mais personne ne semble jamais avoir pensé à lui demander ce quʼil a à dire pour sa défense!).
Ces gens affirment que le démon est une victime, le premier champion de la liberté et le Créateur un tyran: encore des humains qui, comme tous, sacrifient à leur version du bien. 
 
Faut-il faire le Bien ? 
 
Maintenant, voyons les choses dʼun point de vue pratique et posons-nous cette question que dʼaucuns trouveront blasphématoire : faut-il faire le bien ? 
Etant entendu que le bien et le mal ne sont pas des absolus et que, par conséquent le bien que nous pourrons faire sera forcément subjectif, est-il licite de faire ce bien, en dehors des cas où, visiblement, notre opinion quant au bien sʼaccorde avec celle de la personne qui va faire lʼobjet de notre bienfaisance? (Exemple: un mendiant me demande lʼaumône et je me sentirai bon en lui faisant la charité). 
 
Certaines gens ont répondu dʼemblée par lʼaffirmative à cette question et ont agi en conséquence avec des fortunes diverses.  Citons deux exemples :
 
Torquemada:
Il était le “grand patron” de la fameuse Inquisition. Cʼétait un saint, un saint très authentique et nous ne plaisantons pas. Mais, comme chacun sait, il ne fut pas canonisé, sa conception du bien sʼécartait par trop de celle des personnes cultivées des siècles qui suivirent sa mort.Lorsque lʼinquisition sʼinstalla en Espagne et afin, si possible, de conserver un visage “humain” à une institution dont les activités ne pouvaient quʼêtre redoutables, on fit appel à Torquemada dont la réputation de vertu et de bonté (mais oui) étaient grandes.
 
Il accepte par esprit de soumission à lʼégard de ses supérieurs hiérarchiques et fut logique avec lui-même. Il croyait ceci ; si un homme, au moment de mourir, est lavé de ses péchés par les Sacrements de lʼEglise, il connaîtra une éternité bienheureuse, quelle quʼaurait pu être sa vie. Par conséquent, si besoin était, il convenait de torturer durant des heures cet homme pour lʼamener, par la force puisque cʼétait nécessaire, à accepter les dits Sacrements. Peut-on mettre en balance quelques heures de souffrances physiques avec lʼéternité ? 
 
Donc bien que très réellement sensible Torquemada tortura ses frères pour leur bien, tel quʼil appréciait lui-même ce bien. Torquemada était-il donc fou, comme Hitler ? Erreur: cʼétait un homme de son temps et de son pays avec les croyances correspondantes. Dans quatre siècles, certaines des certitudes morales de lʼhomme actuel paraîtront peut être plus aberrantes encore à nos descendants.Un détail permettra de comprendre le désintéressement de Torquemada: fort intelligent, quoi quʼon puisse penser et, en tout cas, dʼintelligence complexe, il nʼadmettait pas, contrairement à la plupart de ses successeurs, que les tortures puissent être agréables à Dieu. 
 
Donc, il ne tenait pas ses actes de bourreau pour méritoires. Il avait dʼatroces cauchemars et était persuadé (il lʼa écrit) que ses activités lui vaudraient, personnellement, la damnation. Il continuait cependant à “forcer la main de Dieu” et à envoyer, par le bûcher, des hommes en Sa Présence. Pour ses victimes, Torquemada fut, cʼest certain, lʼincarnation même du mal. 
 
Cependant, imaginez ceci : un homme qui éprouve une peur panique à lʼévocation des flammes de lʼEnfer et qui sʼy condamne volontairement pour lʼépargner à dʼautres hommes ne peut-il être considéré comme un saint ? Bien des gens ont donné leur vie pour autrui. Mais leur Eternité ? Torquemada est-il un cas extrême? Actuellement, personne ne serait dʼaccord avec lui.  
 
Saint Louis:
Prenons un autre cas: celui de Louis IX de France, encore appelé Saint Louis, et de sa politique à lʼégard des Plantegenet. On ne saurait dire quʼil y aurait désaccord entre cette politique et la pensée “évoluée” actuelle. Il nous est même arrivé de lire lʼapologie des actes du saint roi sous la plume de défenseurs particulièrement qualifiés de la doctrine de non-violence.
 
Examinons un de ces actes, le plus important par ses conséquences.Louis IX était, lui aussi, un homme de son temps et de sa caste. A ce titre, personnellement, il aimait les grandes chevauchées et les combats. mais, vaste coeur, il songeait aux petits, aux faibles, au menu peuple des non-combattants et souhaitait leur éviter ce fléau: la guerre - laquelle, disait-il ne saurait être agréable à Dieu. 
 
Pourtant, étant roi de France et soumis à sa fonction, il dut guerroyer. Et notamment chasser les entreprenants Plantagenet de terres relevant du domaine royal. A un certain moment, le sort des combats ayant favorisé le roi de France, les Plantagenet se trouvèrent acculés dans leurs fiefs - sur la terre de France toujours, mais hors du domaine royal.Alors, le roi arrêta ses armées. Il avait, comme le voulait son rôle royal, fait respecter les droits de la couronne et entendait maintenant faire cesser la guerre “dure aux pauvres gens”.  
 
Les combats cessèrent. Les troupes royales remontèrent vers le Nord et les Plantagenet se rassurèrent peu à peu dans leurs forteresse dʼAquitaine.Lʼattitude de Saint Louis fut-elle admirable ? Nous vous convions à ouvrir un livre dʼHistoire de France et lire ce qui concerne la période couvrant la fin du XIIIème siècle et le début du XIVème siècle. Vous verrez alors que cette louable attitude fut ce qui permit le déclenchement dʼun des plus épouvantables drames connus par la nation française: la Guerre de cent ans. 
 
Si Saint Louis au prix, peut-être, de quelques milliers de vies, avait “bouté” hors de France ses ennemis, la “douloureuse danse” qui dura plus dʼun siècle et fit disparaître non seulement des millions dʼhumains mais aussi la civilisation courtoise, nʼaurait jamais pu avoir lieu.Ceci, direz-vous, nʼenlève rien au mérite du saint Roi? Le mérite découlant de lʼidée subjective que lʼon se fait du bien et du mal, nous serons tout à fait dʼaccord avec vous: les intentions du roi étaient visiblement excellentes et le résultat final nʼenlève rien au mérite de lʼidée initiale. Saint Louis ne pouvait savoir ce qui découlerait de sa bonne action. Et cʼest là ce que nous vous invitons à méditer: vous non plus ne pouvez savoir quels seront les résultats ultimes de vos bonnes actions...
 
Pour en revenir à notre exemple, dans ce cas précis, dʼune action généralement considérée comme bonne est sorti un résultat généralement considéré comme mauvais. Le mal peut sortir du bien. Comme, éventuellement, le bien peut dériver du mal.
 
Cherchez dans votre histoire personnelle.
Faites lʼexpérience suivante: cherchez, dans vos souvenirs, une de vos bonnes actions passées et suivez-la dans ses résultats - non seulement en ce qui vous concerne mais aussi en ce qui concerne le bénéficiaire de la dite bonne action. Peut-être, ce nʼest pas du tout impossible, ces résultats vous sembleront-ils excellents. Mais, en ce cas, cherchez encore: vous verrez quʼil est, dans votre passé, dʼautres bonnes actions dont les résultats ultimes furent bien peu satisfaisants.
 
De plus, nʼoubliez pas ceci: un acte, quel quʼil soit, a des effets bien au-delà de ce que lʼesprit humain peut concevoir et apprécier. Ce qui a été de notre point de vue “vie” devient “mort”. Ce qui était “bon” devient “mauvais” Et inversement. Un conseil: à lʼoccasion, lisez lʼhistoire de nʼimporte quel pays (mais pas du vôtre, de préférence : ce qui est trop familier ne peut guère être apprécié objectivement). Méditez sur lʼorigine des malheurs et des réussites de ce pays. Lʼhistoire dʼun important groupe humain permet, par sa durée, de mieux apprécier la réalité de ce que nous venons de dire: que du mal peut sortir un bien et du bien un mal. Ces termes étant entendus au sens relatif, au niveau humain. 
 
Sʼy retrouver:
Est-ce à dire que, par crainte dʼobtenir, à la longue, de mauvais résultats, nous devons éviter de faire ce qui nous parait le bien ?
Pas exactement, mais il convient tout dʼabord de bien percevoir que ce qui est à nos yeux bien et bon ne lʼest pas nécessairement aux yeux dʼautrui. 
Généralement, il nʼest pas jugé “bon” de recevoir une volée de coups de pieds et de poings: un masochiste pourra penser autrement. 
 
La plupart des gens seraient ravis si on leur offrait une coupe de cheveux gratuite: un “hippie”, non. Cela est vrai même sur le plan de la morale sociale: dans certaines tribus dʼAsie centrale (et, dit-on, aussi chez les Touaregs) une femme qui refuse les relations sexuelles ʻlibres” acquiert, très vite, une réputation aussi déplorable que celle qui se prostitue dans dʼautres régions. Chez certains peuples dits, bien à tort, primitifs, voler est honorable. Et tuer nʼest pas toujours considéré comme “mal”: à la guerre, par exemple. Lʼhomosexualité honnie dans lʼEurope dʼhier était tenue en haute estime dans la Grèce ancienne, et le plus officiellement du monde. 
 
Songez à ceci:
  • Votre enfant peut très bien avoir des goûts différents des vôtres et faire des choix différents (ce qui nʼempêche pas que dans le contexte social actuel un enfant doive étudier)
  • Votre voisin peut avoir très légitimement, de son point de vue, des opinions fort différentes des vôtres
  • Si vous donnez quelque chose à quelquʼun “de bon coeur”, il est à peu près normal que votre geste ne soit pas aussi apprécié que vous le souhaitez: il faut avoir une grande humilité de coeur pour accepter sans rancune quelque chose qui vous est offert sans contrepartie. Qui donne sʼaffirme, consciemment ou non, supérieur
  • Le mal, enfin, que vous fait subir votre ennemi, peut lui sembler simple justice: vous ignorez fatalement lʼessentiel de ses motivations; vous ne voyez que les effets du mal qui vous est fait: jamais les causes.
 
Nʼoubliez pas non plus ceci:
Lorsque nous accomplissons un acte qui nous parait bon, nous éprouvons une satisfaction intérieure. Cette auto-satisfaction, chez lʼhumain non libéré, a le rôle suivant : elle tend à compenser les sentiments de culpabilité conscients ou non qui existent obligatoirement chez tout humain. Nous reviendrons sur ce point et en tirerons les conclusions pratiques. Mais déjà,`nous vous invitons à noter le fait. 
 
Alors, que faire ? 
Nous nʼavons pas encore vraiment répondu à la question que nous nous étions posée: en définitive, convient-il de “faire le bien” ? La réponse est: oui, faites ce qui vous semble le bien, mais faites-le naturellement. Quʼentendre par là?

Eh bien, comme disait le Christ, si quelquʼun vous demande du pain, ne lui donnez pas une pierre. SI un être humain tombe à lʼeau et quʼil soit dans vos possibilités de lʼempêcher de se noyer, faites-le. Si quelquʼun vous dit: jʼai faim, donnez-lui à manger. Ne réfléchissez pas au fait que le noyé en puissance a peut-être désiré mourir et que vous risquez de le rendre à une vie misérable.  

Ne pensez pas que celui qui vous dit “jʼai faim” ment peut-être. Que votre bonté soit une réaction instinctive, sans intervention de lʼintelligence . Quʼelle ne soit pas le résultat de longues cogitations: si un de vos voisins manque du nécessaire, aidez-le le plus discrètement possible sans attendre, surtout, une reconnaissance quelconque. Ce faisant, même, vous pouvez vous laisser aller à penser. jʼapaise mes sentiments de culpabilité: cʼest excellent.

Mais surtout, nʼessayez pas, “pour son bien” dʼorganiser la vie de ce voisin, de jouer au démiurge. Peut-être pourriez-vous, par exemple, lʼaider à se cultiver, à devenir capable dʼobtenir une situation plus intéressante: sʼil ne vous le demande pas expressément, nʼen faites rien. Nʼaidez que si on vous le demande.Tant que nous estimons être un égo, un “je”, un “individu”, nous recherchons, et cʼest assez compréhensible, la satisfaction de lʼentité que nous pensons être. 

Chez les plus brutaux, cette satisfaction sera recherchée dans les jouissances dites matérielles. Chez dʼautres, le processus sera plus affiné: le fait de se “sentir bon” fait partie de ce processus. 

A mi-chemin entre les deux attitudes, on trouve:

  • la bonté-domination (je suis bon envers lui, il mʼen doit donc reconnaissance - autrement dit: je lui suis supérieur, je le possède)
  • et la bonté par besoin dʼêtre aimé. Cette dernière forme de “bonté” naît du fait que, sur un certain plan, “je est lʼunivers”, est vaguement ressenti mais ne parvient pas à se concrétiser: un “complément de moi” est donc recherché chez autrui. On parle alors, généralement, dʼamour - au sens sentimentalo-sexuel du terme.  

Ces deux attitudes intermédiaires aboutissent, assez souvent, à des résultats effarants : on châtie les gens pour leur bien (formule bien connue des états policiers) ou on les supprime “par amour” (formule bien connue des cours dʼassises: “je lʼai tuée parce que je lʼaimais trop ...”) 

Le bien pour le mal

On raconte quʼun insensé comprenant que le Bouddha prêchait que nous devons rendre le bien pour le mal, alla donc le trouver et lʼinjuria.Le Bouddha garda le silence.Quand lʼautre eut fini de lʼinsulter, il lui demanda : “mon fils, si un homme refusait un présent, à qui appartiendrait le présent ?”Lʼautre répondit : “à celui qui voulut lʼoffrir”.“Mon fils, répliqua le Bouddha, tu mʼas insulté, mais je refuse ton insulte, et celle-ci te revient. Ne va-t-elle pas être une source dʼinfortune pour toi “ ?Lʼinsensé sʼéloigna tout penaud, mais il revint se réfugier dans le sein du Bouddha. 

En conclusion 

Le Bien et le Mal ne constituent quʼun des exemples du caractère relatif de tout jugement et de tout acte humain.Dans lʼabsolu, tout est égal à tout (si, dans lʼabsolu, les mots conservent encore une signification quelconque)!
Les notions de supériorité et dʼinfériorité sont dʼorigine humaine.
 
Dans le relatif - mais en faisant, si lʼon peut dire, un pas en direction de lʼabsolu - est supérieur qui ne prétend lʼêtre en aucune façon. Fait preuve dʼinfériorité qui se veut supérieur. Qui se fâche en entendant dire, à son propos, des vérités ou même des mensonges “blessants” est inférieur. Qui a le sens de lʼhumour mais ne lʼexerce quʼà lʼégard dʼautrui (ou lʼexerce aussi à son propre égard mais ne tolère pas quʼun autre le fasse), est inférieur.  
 
Si, comme il est souhaitable, vous aboutissez à votre libération, si, pour être plus précis, vous constatez un jour que vous êtes libre, invaincu et invincible, vous percevrez aussitôt que le simple fait de briller, dʼéblouir autrui (sans parler de vous-même) est dʼune puérilité insurpassable. 
 
Jamais plus vous nʼaurez lʼenvie, non pas enfantine mais infantile, de paraître, dʼêtre admiré, de dominer, dʼêtre “aimé”. Vous aimerez toujours (et mieux) mais sans souci de contre-partie. Et, aimant sans illusion, vous pourrez alors vous pencher sur le problème de la souffrance, inhérente aux humains et à tous les vivants, sans étiqueter votre attitude du mot “bonté”. car, à ce moment-là, la souffrance sera devenue pour vous un problème, au sens normal du terme, et non plus un drame.
 
Paix, force et harmonie dans votre Vie.